Le lièvre et le lézard (ou le sanglier) – 2007
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Le lézard qui n’a pas cru bon vivre dans le cœur des roses,
Disait avec précision :
« La tomate est un fruit et je ne suis pas un fruit.
Pourtant, je cherche quelque chose : je bois, je mange, je dors.
Mais lorsque d’aventure je me couche dans la ramille,
Mes yeux s’écartent du ciel.
Toi, sachant ce que j’allais vivre,
Attaché seulement à l’ombre des choses, tu étais presque ce héron
Que des vents malheureux ont tenté de retenir.
Ils n’ont pu te retenir !… Et te voilà chéri sur cet atoll…
Du bouge ennuyeux où tu vis de choses éternelles
Les oiseaux sortent plus légers ».

Le lièvre disait :

« Oui, j’ai fait un songe,
Et j’ai connu ce coin charmant de sols noirs et de fougères où
le matin accroché à une branche, tu faisais ta toilette.
Lorsque des rêves courant dans la rosée blanche, allant
et venant le long des routes,
Tu sautais ! Comme le cœur d’un jeune chien qui saute pour vivre !
Oui, c’est moi l’enfant, qui pour foncer dans la mer tête baissée,
Imite les oies couvertes de boue et de mouches.
Où veux-tu que j’aille ? Que veut-on que je fasse ? Prendre
Un chemin plus court ? – Plus long ? Un train ou passer outre ? Dis moi toi,
S’il faut que je rebrousse chemin car pour vivre à la saison plus douce,
J’avais le jour comme la nuit,
Un peu de quoi faire ton bonheur ».

*

« Chaises, bois, idée enfin apparue des paysages avoisinants,
Je suis revenu d’un grand voyage et je suis fatigué.
Idée, avec les odeurs de remorque qui planent le long des prés,
Et teintent dans la crasse des murs des caveaux, les odeurs de langues,
De chiens et de betteraves !
Tout monte en vie, – chênes, faons, lions, crabes ! O jardin !
Et dans l’œil de l’hiver, O printemps ! Tu étais ce que j’avais de plus cher au monde,
Une espèce de grain, cher éléphant du monde »!

Le lézard disait :

« Dans la rue, il y a des pinsons et je les ai cru pourvus de phares,

De baraques et de ciels de lit ».

« J’ai une dent, et des bêtes roses aussi contre les vergers

Que je ronge »,

« Contre la lune qui luit, tes yeux de chiens, tes millions de nez »,

« Les étoiles »,

« Tes jeux d’ombres dans les labours »,

« La rivière »,

« Ton cœur ».

*

« Nez, oui. Gorge, cou, Œil, oui. Troupes de troupeaux d’ânes !

Gorges ! Pieds et mains ! Cadavres de chiens !

Lèvres ! Cou ! Oui ! Oui ! Oui !

Lèvre, oui ! Bouche oui ! Cadavres de chiens !

Pieds et cou ! Chiens ! Gorges et mains !

Chairs et cheveux. Oui ! Oui ! Oui »!

Le lièvre disait :

« Les jours ne sont quelquefois plus les jours et c’est mon drame,

Je ne vois plus leurs mains je ne vois plus leurs plumes j’ai mieux aimé les morts,

J’ai mieux aimé le monde des morts,

Ce n’était pas toujours ainsi c’était à partir d’un jour maintenant c’est pour toujours,

C’est pour toujours je ne sens plus leurs lèvres je ne sens plus leurs doigts,

D’herbe sur l’herbe, de fleurs sur l’herbe, de champs sur l’herbe,

Ni devenir ce qu’ils devenaient, ni vouloir ce qu’ils voulaient,

Et maintenant, dent morte à leur rouage, je vois la face grimaçante de leurs écrous.

Toi et moi nous mangeons,

Lorsque leurs corps se nourrissent de la viande et du beurre qu’ils avalent,

Nous mangeons. Lorsqu’ils passent leurs mains sur nos tables nous mangeons.

Nous mangeons dans leurs murs, sur le parterre de leurs rosiers,

Dans leur chambre lorsqu’il fait nuit !

Bientôt il tombera sous le sens, qu’avant d’être des leurs

Nous n’étions déjà plus que leur souvenir,

Mais qu’au large de ce souvenir, nous ne devions être que des leurs »

Le lézard disait :

« Le matin je lis je déjeune et c’est le matin.
C’est peut-être ici, fruit serein de la neige, que tu as creusé mes sens,
Et que porté par un visage moins féroce, tu plaides en ma faveur.
Jeune et plein de zèle, tu te fondais dans le paysage et nous passions des heures
Dans ce petit enclos, comme des anges !
Maintenant tu sais que je peux reconnaître la beauté, la clarté des branches,
Et l’ombre légère que la foi n’empoisonne plus »!

*

« Je suis la rose qui pique, singe couvert de rues et de lions.
Sans dent, je casse la croûte, à la bonne heure !
C’est l’hiver, et je ne sais plus si j’ai un monde O je ne sais plus
De quel sentiment se pourvoir !
Alors je creuse un grand trou dans la terre et sur un lit d’herbes fines
Où s’étendraient nos doigts, – O vieille enchanteresse !
Plantes-bronches, écarlates ! Corps épis !
Mondes-mer ou mondes-fortune ! Pains !
Pains-fleur, pains-bois !
Je prends mon repos, rongeant l’os et le cou d’un livre ».

 

 Fin