Le Christ aux oliviers – 2005

Section poésies

Ceci n’est pas un texte religieux.

Inspiré de la symbolique du Chemin de Croix relaté dans la Bible, il n’en est pas la transposition poétique.
Il déroule une histoire et le sentiment d’un homme ordinaire, qu’au fil du temps le travail et la réflexion ont infléchi.

I

Maintenant que de tes ossements j’ai saisi le périmètre
Et que cela ne devait dépendre que de toi,
Que le houx ne te prête plus qu’un parfum tangent, alors pourquoi ?
Pourquoi me portes-tu ce regard curieux?

Car c’est la nuit. Maintenant, c’est la nuit
Un à un, ils passent au travers, les morts, que veux-tu ! C’est légion !
Ils passent et j’entends le mot bois

Car les morts n’appartiennent qu’à ceux qui sont en vie,
Pour eux le jour, pour eux la nuit,
Mais pour toi, non. Réellement non : Toi Mort,
Tu n’es pas tellement vivant !
Non pas comme cette fleur qui se hisse ou alors
Elle cherche ou alors elle hésite cependant que tu songes accoudé à ta fenêtre:
«  Pourquoi suis-je bouleversé ? »

Maintenant c’est la nuit et le jour déposé,
Se passera-t-il un temps entre le temps où l’on fut au plus mal
Et le temps où nous le serions enfin ?

O Est-ce que c’est toi ? Est-ce que ce sont mes cellules ?
Est-ce que ce sont ces viviers de lumière
Qui pâles comme une haie de lanternes
Trient nos fronts animaux ?

II

Mon cerveau qui n’est qu’une gourde, avec tout ce qui le nourrit
Devrait vouloir des oiseaux, voyager.
Mais je ne veux plus voyager, et pour savoir qui je suis je regarde
Mon pied coloré.

Alors je bats la mesure des jours qui s’égrènent
Là, songeant à là où ils m’emportent et songeant :
Suis-je une main? Suis-je un doigt?
Je songe à là où ils m’entraînent.

Commencer, finir : non.
C’est vivre encore un peu
Jusqu’à la saison prochaine, et naviguer sur cette hélice.

De ce tombeau réveillé il me restera quelques fleurs,
Pâquerettes, dahlias, – ou roses?
De boucles rouges, de boucles roses :
Ce n’est pas rien qu’où je meure elles fleurissent!

Je ne suis pas un maître mot qui bascule
– j’ai cherché comme un enfant – et la brume
Me secoue comme lui : l’oiseau dont l’angoisse tourne autour des rennes.

Que faire alors lorsque Elle vous guette, l’Oppression créatrice?
Depuis Elle, tourments,
Usure : on s’est enfoncé.

Puisses-tu vivre alors, puisses-tu vivre enfin une seule chose : apaisement
C’est le mot que je cherche, la couverture que l’on tire à son cou.

Mais qui orne? Qui plante? Est-ce un génie malfaisant – bienfaisant?
Ici même et lorsqu’il s’ennuie, que faire ?
Outre qu’il soit si féminin.

III

Lorsque enfin l’on traverse au bout d’un million de fils,
un million de plumes,
Et songe et re-songe encore à tous ces efforts,
Un bol de lumière à la main,
Alors elles arrivent et glissent comme des bateaux le long de nos
[manches],

Ivres et légères,
Nous trouvant là-bas et nous là-bas
Les trouvant ici
Comme un million de chapelles ardentes.

Goutte à goutte, des cabines où l’air est léger à leurs fontaines,
Trieuses de clameurs qui remontent, elles nourrissent le monde.

Pommes, poires, pamplemousses!
Nous aurons des vergers remplis de chapelles ardentes!
Des sacoches de poètes livrées à vos bouches,
Un buisson vif entre les dents!

Pommes! Des ivres pendant à vos oreilles ont réclamé leurs chairs,
Cette chose était-elle organisée à la campagne, cette chose là?
Tout porte à le croire lorsqu’elles quittent ta ouche,

Et qu’à ta serrure elles trempent un peu l’œil.
Cela n’aurait pas dû souffrir d’une semonce, pourtant,
C’est hélas qu’il a fallu dire à ton goût, hélas!
Qu’il a fallu éponger ce que l’on appelle éponger :

L’eau de mer,
C’est pour cela qu’on te loue, c’est pour cela que l’on trempe
Un œil à ta serrure.

IV

Depuis si longtemps déjà que les bêtes faisaient le gros dos,
Qu’elles chagrinaient, qu’elles étaient dans les pâquerettes
A fouler vivement leur peine à travers tout,
A travers les rames d’un chêne par exemple,

Cette fois, elles n’ont plus la force.
Les plates-formes écarlates où elles s’allongent
Exhalent les langueurs de leur museau, leur bec, leur trompe,
Et les bouquets d’hélianthes que leur corps a plié

Crépitent dans les joncs.
Aux aguets, agenouillées sur une rive de terre sèche,
Comme des mantes ramassées dans leur cagoule,
Elles poussent leurs prières à des routes sans fin.

C’est la lumière du monde, le désordre encore frais du matin,
Les derniers rayons d’hiver.
C’est l’avenir, la clairière à l’horizon,
Le chantier que l’on a gardé sous la langue…

Et comme elles ont encore au creux de l’oreille ce petit cri,
Ce petit cri de fenêtre enchantée,
Leurs yeux tournent dans le ciel à travers le ciel
Et font des signes amers à leur chanson.

C’est la criée du matin, le souffle piqué de l’univers,
Le premier rayon tombé du monde.
C’est sans arrêt la veillée, les heures passées à la longue,
Revenir, et chanter la bonne journée.

V

Peut-être faudrait-il, pour une existence un peu plus commode,
Luire en dehors des zones, mourir d’envie,
Mais peut-être que ce n’est pas enviable – et alors luire!
Luire et desserrer les dents!

Comme les ânes couchés sur les pois de senteur,
Ou roulant à demi fou dans les fossés verts,
Peut-être faudrait-il une fois cet amour soldé,
Manger tout son kasha!

Puis dans la trace encore chaude des larmes d’hiver
Dormir, comme les fauves rompus à l’aube,
Harnachés de lièvres et de veaux féroces,
Dormir, – et desserrer les dents!

Peut-être faudrait-il pour inverser la tendance,
Au printemps, chanter comme une poisse dans les houx,
Le coeur au ciel, les mains, – tenir,
– tenir le haut du pavé.

Alors l’idée nous effleurerait-elle, les soirs de belle saison,
Que les cygnes revenus de leur forme la plus pure,
Libres, heureux, les yeux plein d’envie,
Les cygnes puissent longer les bords de mer!

Dans la baie tiède de leurs allants et venants,
De leurs rondes,
Retrouver les reflets qu’ils avaient laissés!

Alors, nous verraient-ils sous notre meilleur jour,
Près des ruisseaux abandonnés, peser nos mortes?
Nous verraient-ils les soirs dans les couchers ardents,
Fondre dans la boue comme les fleurs légères?

VI

On n’aura pas d’enfant nous, on aura le teint fleuri des bêtes
[mélancoliques]
Un long vinaigre noir à la bouche, vite,

Faire volte-face, demi-tour,
Singer l’ange, aller
Comme les transporter, les chiens à la curée

Sur le chemin du retour, aller renifler ça,
Ce qu’on nous a servi dans l’écuelle,
Sa livre de sardines.

Et s’il faut donner à voir sur les rives un air
Plus majestueux, plus symbolique,
Et sentir pamoison ce nouveau pouls, alors
Bon gré mal gré,

Le coeur finira ses applications,
Sans ambages, à la régulière » le long d’une rame,
Pour qu’il lui soit doux d’entendre au crépuscule
Les vers passer dans les troncs.

Nous dormions si bien sous l’eau! Et les nuages
Buvaient à la coupe!
Des haies de hanches aux coutures vermeilles
Y dansaient comme des pieds-d’alouette!

Nous étions champs, nous étions forêts,
Berceau de charmilles, nous étions chemins,
Houppes de fleurs jouant dans la ramille,
Nous étions chair, nous étions main.

VII

Je ne te connais pas, je ne sais pas ce que tu ronges,
Es-tu un oiseau? Toi qui tourne autour des hêtres
Et jette dans les nids ce que les hommes ont songé,
Mangerais-tu de la nourriture pour vaches?

Toi qui folle dans les glaises de Hollande,
Es-tu du nitrate?
Ta patte a-t-elle suivi les galeries du Cerf, ton oeil
Les rives de l’amour paternel?

Je ne sais pas ce que tu ronges, regardes-tu
Avant ou après?,
Les corps que tu happes par la langue?

Du bruit sourd de ta narine heureuse
Coulent des têtes de veaux, de vaches, d’éléphants,
De vignes endolories.

De ton coeur à ton coeur pourtant l’on devine
Tournée comme un vase une petite dépression
En forme de fleur: es-tu du rhododendron?

Quel bonheur ont eu tes os à fouler au printemps
Des argiles encore gonflées de pluie!
De ton nerf à ton nerf encore,
L’air a dû filer plus doux.

Tu pourrais t’en aller maintenant, faire une pause,
Comme un feu follet de novembre tu pourrais,
Au hasard d’une brise encore gamine,
Coucher ton rêve dans la feuille.

VIII

Depuis si longtemps déjà que les bêtes faisaient le gros dos,
Qu’elles chagrinaient, qu’elles étaient dans les pâquerettes
A fouler vivement leur peine à travers tout,
A travers les rames d’un chêne par exemple,

Cette fois, elles n’ont plus la force.
Les plates-formes écarlates où elles s’allongent
Exhalent les langueurs de leur museau, leur bec, leur trompe,
Et les bouquets d’hélianthes que leur corps a plié

Crépitent dans les joncs.
Aux aguets, agenouillées sur une rive de terre sèche,
Comme des mantes ramassées dans leur cagoule,
Elles poussent leurs prières à des routes sans fin.

C’est la lumière du monde, le désordre encore frais du matin,
Les derniers rayons d’hiver.
C’est l’avenir, la clairière à l’horizon,
Le chantier que l’on a gardé sous la langue…

Et comme elles ont encore au creux de l’oreille ce petit cri,
Ce petit cri de fenêtre enchantée,
Leurs yeux tournent dans le ciel à travers le ciel
Et font des signes amers à leur chanson.

C’est la criée du matin, le souffle piqué de l’univers,
Le premier rayon tombé du monde.
C’est sans arrêt la veillée, les heures passées à la longue,
Revenir, et chanter la bonne journée.

IX

J’avais des envies autour des ongles et des engelures
[aux pieds],

Alors que les premiers limbes avaient flairé le coup,
J’avais des vies, des sommes de vies,
Des vies entières à entretenir!

Voilà qu’à la vue pâle de leur coude, pour passer le temps,
J’avais déjeuné d’une vieille graine,
Et qu’à la fraîcheur de l’air entourant mon pourpre,
J’avais pris congé dans un touffu.

Des coeurs de laine, elles s’étaient assises dans les cailloux,
Leurs yeux endormis faisant des charmes à ma veillée,
Et leurs doigts des ronds dans l’eau.

J’étais aux anges alors! J’étais une espèce nouvelle!
Un oiseau de paradis!
Le fruit que l’on caresse, que l’on met au parfum!

Voilà qu’à la vue de mon sac rempli de sapins,
Elles étirèrent un peu leurs ailes,
Et les pieds qu’elles avaient endormis sur la soie
Firent un murmure.

J’étais aux fleurs. J’étais aux champs.
Des patrouilles d’airain venaient déjà sur la braise.
Aurais-je dû dans la clarté mourante des étangs
Déposer des roses à leurs mâchoires?

X

L’hiver est sorti de sa cage.

Oui, il y a des mondes qui s’insinuent dans nos coeurs
Et retournent en labours les airs que l’on fredonne,
Le compas ferme jusqu’à la saison morte,
Poursuivant comme les singes les amandes des amandiers.

Et si lourds et si lents qu’à la longue,
Parcourant nos veines de leurs épaves nonchalantes,
Ils suintent,
Ils suintent comme les vieux murs des pitiés d’hommes.

Alors j’ai fait une blague à l’Ange, je lui ai dit « Nestor »,
Je lui ai dit fleur, je lui ai dit flore, que j’avais trouvé
Un défaut à sa serrure.

Cela n’a pas dû peser bien lourd dans la balance,
Il aurait fallu endormir la bête, et dans une plus large mesure,
« Tuer le veau ».

On peut dire que ce fut une sacrée journée celle-là,
Les plantes, les fleurs, les rivières, enfin
Tout ce que l’on nomme par-ci par-là, et qui fait nos saisons,
Et pour peu qu’on les trouvât dans une nuit rêvée,

Tout cela eut fui dans la lande.

XI

Ecoutez bien, si vous avez des oreilles pour entendre!

Nous approchons!
Des troupeaux de nymphes montent dans la fumée,
– une belle mécanique!

Accouveuses de ventres, ce ne sont plus de vieilles dragonnades!
Les chaleurs enfouissant les chaleurs,
Les mers déchargeant les mers!

Ce ne sont plus ces mandragores
Qui couraient dans la futaie comme des couples de reins!
Ou ces pierres encore vives sous leur gangue,
Jetées en souvenir aux bourdons!

Les chiens enterrent les chiens,
Les grives les grives,
Et s’il reste encore un oeil à leur sacoche,
Les rats enterrent les rats!

Comme ils sont heureux ces petits nids de morts folles
Que les oiseaux fouillent!
Ils ont dans la moiteur de leur col un content de bière
Et de fumée…

Puis, c’est le repos,
Le devant de la scène, le dernier bord du monde.
Cependant que des bougres se promènent dans les champs,
– comme c’est réjouissant!

Les autres, les anges pendus au ciel comme de grand pompons noirs
Dodelinent, et alors  !
– alors ils ont des airs privilégiés!

XII

J’ai mis un taureau dans un grand cerisier d’eau :
Et de l’eau dans les vannes.
Il tourne dans le grand arbre et c’est difficile pour lui
De faire son aménagement.

Oeil nourrissant,
Ne m’appelle plus, ne viens plus;
Ne sois pas de ceux qui me jugent
Où qui rempliraient de chair mon écueil.

Il a tourné ses ailes dans les branches
Et il nage, le désongé : il va cueillir des fruits.
Pourquoi descendrait-il?
Pourquoi passerait-il par le sol comme la foudre?

J’ai le talon chaotique et la faim tirailleuse
Un goût pour l’Olivier et c’est lui ce Sarment
Dont l’automne a saisi la goule
Qui relève les cadavres de leur bois

Les agneaux gambadent dans la prairie,

Il va dans les hauteurs,
Il va dans les hauteurs,

Il va s’affranchir, franchir

La ligne d’horizon.

O cours! Cours sans fin! (sans fin il court).

Cours sur les ponts!
(Il court sur les ponts).

Cours sur les chemins!
(Il court sur les chemins).

Il va dans les hauteurs.

 

 

Fin